" On n’entendrait pas, ici, le point, abstraitement, géométriquement, comme l’intersection de deux droites ni comme une zone d’accord sur un sujet disputé, ni comme un jeu d’influences que tissent les historiens pour rabattre dans l’ordinaire l’état de surprise où jette un paysage, un visage, mais au sens où l’entendent les gares : une aire vaguement définie, provisoire, où des gens qui sont liés viennent se chercher ou se séparent, confortés par les retrouvailles, ou inquiétés par l’éloignement, s’étreignent. Histoire de vérifier, un instant, qu’ils sont toujours vivants, en recherche, c’est-à-dire jamais enlisés dans des certitudes et surtout qu’ils s’assurent l’un de l’autre. "
Ce serait le moment de faire l’éloge de la vie d’atelier, lieu ouvert, éphémère où, d’emblée, se manifestaient la joie d’être ensemble, la curiosité sans limites pour ce que fait l’autre, le dynamisme du « faire », de la « poétique », chacun occupé à sa « chose », sur fond de modulations musicales (le Bach de Jacques Loussier, l’accordéon de Richard Galliano,
les variations de Philip Glass…) Le risque de se prendre trop au sérieux était limité par l’humour irrésistible et ravageur dont Raphaël n’était pas avare. Les ferraillages théoriques cédaient toujours le pas aux gestes, aux pratiques. Il y a là un secret d’existence qui a plané sur ces rencontres et dont le charme, la liberté, l’intensité n’étaient jamais affaiblies, quelles que soient les rencontres avec ceux qui se tenaient sur le seuil, se demandant ce qui se tramait dans cet antre, l’atelier, quels que soient les hasards, les bonheurs ou les vicissitudes des projets, des réalisations.
Il n’y a rien de nombriliste dans la célébration de l’atelier, qui d’ailleurs, contrairement à bien des peintres, n’a jamais été représenté, en tant que tel, par Raphaël. Parce que rien n’était plus loin de lui que de parfaire la coquille d’une installation, de viser le confort. Parce qu’il s’agissait moins d’un lieu que d’un foyer en perpétuelle mutation. Déménagements, aménagements, capharnaüms, vides, désordre, rangement, toutes ces situations alternaient jusqu’au vertige. Ce n’étaient pas des décorations qui occupaient Raphaël mais la remise en cause continuelle de fonctionnalités provisoires qu’il perfectionnait, qui assuraient la conquête de l’espace et de la lumière, dans un lieu de travail, pour le travail. Il généralisa peu à peu l’instrument de la migration : la roulette. Tables, chevalets, lits, placards, fauteuils, meubles à tiroirs, tout était sur roulettes, pouvait être dégagé dans l’instant et déterminer de nouvelles configurations {...}."
Bazouges